Le SNU, un dispositif réglementaire inadapté, dangereux et contraire aux libertés fondamentales

La nomination ce 1er septembre 2022 d’Yves BOERO, ancien directeur adjoint du service national et à la jeunesse au ministère des armées, en tant que nouveau DJEPVA par interim est une nouvelle preuve du déploiement de l’idéologie militariste et autoritaire des politiques de jeunesse portées par le président de la République et son gouvernement. C’est aussi une occasion pour le SNPJS-CGT de rappeler la multitude d’aberrations juridiques et pédagogiques du dispositif emblématique de ces politiques : le service national universel (SNU).

La création d’un nouveau type de séjours ACM, une pirouette pour s’affranchir du cadre réglementaire commun des séjours de vacances

Un décret du 29 juillet 2020 a modifié le Code de l’action sociale et des familles (CASF) afin de créer un nouveau type d’accueil collectif de mineurs à caractère éducatif, le séjour de cohésion organisé dans le cadre du service national universel. Ce texte transforme les missions des services de l’État dans les régions et les départements pour leur permettre d’accompagner la montée en charge du service national universel et, notamment, d’engager des personnels participant à des fonctions d’animation ou de direction de séjours de cohésion. Il prévoit surtout de faire du séjour de cohésion une nouvelle catégorie de séjours avec hébergement de manière à pouvoir déroger aux conditions traditionnelles d’encadrement en ACM (article R. 227-1 du code de l’action sociale et des familles).

 

Un niveau d’expériences et de qualifications de l’encadrement dérogatoire et très souvent insuffisant

Il apparait tout à fait incompréhensible et injustifiable que la réglementation n’impose pas, à minima, aux séjours de cohésion SNU les mêmes règles d’encadrement que celles des séjours de vacances traditionnels. C’est pourtant le cas !

Malgré le caractère objectivement complexe de l’encadrement de ces séjours de cohésion, au regard notamment de l’âge des publics accueillis, de l’ambition de mixité sociale affichée, de l’absence de contacts entre les jeunes et les encadrants avant le séjour, des effectifs plus importants que la plupart des séjours de vacances pour adolescents organisés par ailleurs, des difficultés de recrutement, et plus largement de la nature des intentions éducatives défendues, la réglementation n’impose pas aux séjours de cohésion les traditionnelles règles d’un minimum de 50% d’animateurs qualifiés et d’un maximum de 20 % d’animateurs non qualifiés (article R.227-12 du CASF), l’article R.227-19 autorisant jusqu’à 40 % d’encadrants non qualifiés pour ces séjours !

Elle n’impose pas non plus les qualifications habituelles concernant les fonctions de direction et d’adjoint de direction (R.227-14), avec comme seule obligation que le la personne chargée de la direction du séjour soit majeure (R. 227-19).

Les éléments de cadrage concernant les conditions d’encadrement sont relégués au niveau de simples instructions et guides pratiques sans réelle portée juridique et permettant des souplesses très importantes en comparaison de ce qui est imposé aux séjours de vacances.

Le résultat sur les séjours est pour le moins chaotique avec des divergences éducatives de fond qui se font jour entre les tenants d’une discipline quasi-militaire, nostalgiques du service militaire et les tenants d’une perspective éducative plus émancipatoire.

 

L’absence d’obligation réglementaire de rédaction d’un projet pédagogique, un non-sens

Par ailleurs, le séjour de cohésion du SNU constitue avec le séjour de vacances dans une famille, l’une des deux seules catégories de séjours exemptées de l’obligation de rédaction d’un projet pédagogique (article R. 227-25 du CASF) qui constitue pourtant la véritable clef de voute de l’organisation d’un accueil des enfants hors du temps scolaire. A titre d’exemple, ce projet pédagogique est exigé y compris pour des séjours courts, qui peuvent ne durer qu’une seule nuit et pour des effectifs restreints, mais pas pour le séjour de cohésion. C’est une aberration !

Cette absence de projet pédagogique contribue ainsi à la mise en œuvre du programme du SNU et de ses modules sur la seule base des éléments de cadrage national, en dehors de toute réflexion pédagogique formalisée et ancrée localement sur la qualité de l’accueil, l’organisation et la gestion de la vie quotidienne mais aussi la nature des relations engagées entre les jeunes et les encadrants. Seul semble faire sens le cadre défini de manière abstraite et éloigné des conditions réelles du séjour auxquels les encadrants et les jeunes doivent se soumettre, provoquant ainsi nombre de situations dangereuses, méprisantes des rythmes individuels des jeunes et niant leurs singularités, leurs besoins individuels tout autant que des réflexions sur les dynamiques de groupe propres à chaque groupe.

Aussi, nombre de séjours de cohésion sont en réalité de véritables fabriques de maltraitance éducative et pédagogique poussant les équipes à se soumettre à la logique du programme où les jeunes se trouvent être les véritables objets du dispositif à qui l’on essaye de transmettre des valeurs à coup de marteaux quand bien même un clou demeure dans la chaussure. Peut-on réellement imaginer transmettre des valeurs de liberté dans un cadre autoritaire ?

 

Un mélange des genres entre organisation et contrôle déontologiquement inacceptable

Plus dérangeant encore, ce cadre imposé provoque nombre de situations problématiques dans la prise en charge des jeunes et notamment des plus fragiles et des plus vulnérables. Or ces situations sont étouffées car ce sont les mêmes services qui organisent le séjour de cohésion et qui le contrôlent ou plutôt qui devraient le contrôler. Aussi, la poussière s’entasse méchamment sous le tapis et la déontologie comme l’égalité de traitement des situations sont reléguées aux vœux pieux…

Combien d’évaluation/contrôles ont eu lieu depuis la mise en œuvre du SNU ? Comment les inspecteurs JS traitent-il les signalements d’événements graves qui surviennent sur les séjours ? Combien d’enquêtes administratives diligentées à l’égard des encadrants notamment ceux qui exposèrent les jeunes sous le soleil en pleine canicule ???

Les SDJES, avec l’appui des DRAJES organisent, pilotent, mettent en œuvre, parfois mènent des interventions pédagogiques sur les séjours… et contrôlent. En cas de dysfonctionnement important susceptible de mettre en danger la sécurité des mineurs, peut-on sérieusement imaginer qu’un inspecteur jeunesse et sports ou un préfet traiteront la situation de la même façon que si le séjour avait été organisé par une structure associative ou municipale extérieure. A l’évidence non !

 

Une perspective de séjour de cohésion rendu obligatoire incompatible avec les libertés individuelles

Malgré son coût exorbitant, malgré l’incapacité logistique, technique et pédagogique des services de l’état devenus exsangues pour mettre en œuvre des séjours de qualité, le projet présidentiel concernant le SNU reste celui de la généralisation comme en atteste le retour de Sarah El Haïry au poste de secrétaire d’état en charge de celle-ci. Reste que cette généralisation censée transmettre à toute une classe d’âge les valeurs de la République et parmi elles, celle de la liberté, constitue dans son principe même de généralisation une atteinte aux libertés individuelles et un danger majeur d’encadrement de la jeunesse. En effet, comme le mentionne le rapport de la cour des comptes d’octobre 2021 relatif à la formation à la citoyenneté en page 71 :

« La loi ne permet d’imposer des sujétions qu’aux citoyens, statut dont ne relèvent pas les jeunes de 16 ans placés sous l’autorité des parents. Le droit français et le droit européen garantissent la protection des libertés fondamentales. Tant que les jeunes sont des participants volontaires, ils acceptent de manière contractuelle de se plier à ces obligations et de respecter le règlement intérieur des centres. En revanche, en cas d’obligation, les modalités du séjour de cohésion (obligation à résidence pendant le séjour de cohésion sociale) et des MIG (obligation d’accomplir une tâche d’intérêt général non rémunérée pendant 12 jours), constituent des atteintes aux libertés individuelles ».

 

Une idéologie elle aussi dangereuse, contradictoire avec la visée émancipatrice de l’éducation populaire

Le cadre général du séjour de cohésion reste incompatible avec les objectifs d’émancipation des personnes et d’éducation à la paix fondant l’engagement professionnel de l’essentiel des collègues en charge des politiques de jeunesse et de sports dans les services de l’Etat. Loin de susciter le questionnement, l’esprit critique, la prise en compte des individualités et des aspirations multiples des jeunes, le séjour de cohésion constitue en réalité un espace d’expression d’une pensée unique, endoctrinante, relayant une idéologie centrée sur la force et l’autorité.

 

Le projet du SNU fondé sur l’apprentissage d’une citoyenneté de réaction face aux multiples crises (sanitaire, économique, sociale, environnementale, etc.) est aux antipodes du projet émancipatoire propre à l’éducation populaire consistant non pas à s’adapter au monde tel qu’il est mais à le transformer.

 

A l’heure où les chars, les obus et les missiles dévastent à nouveau l’Europe, où les forêts brûlent, où les sols s’assèchent et où le monde devient irrespirable, former une jeunesse à se soumettre à ce monde là relève de l’irresponsabilité politique majeure ! N’en soyons pas les complices !

 

Le SNPJS-CGT rappelle ses revendications :

  • l’arrêt immédiat de la procédure de déploiement du SNU,
  • l’arrêt de toute politique de jeunesse complémentaire à l’instruction se fondant sur un régime obligatoire,
  • la mise à disposition de moyens humains et financiers suffisants pour porter une réelle politique publique d’émancipation de la jeunesse, respectueuse de la diversité de ses aspirations et permettant l’appropriation de l’esprit critique,
  • le développement de politiques de mixité sociale pour la jeunesse sur les temps de loisirs passant notamment par un soutien accru à des politiques de formation des individus tout au long de la vie existantes telles que les chantiers de jeunes bénévoles, les séjours de vacances, la mobilité internationale, tout en respectant la diversité des projets éducatifs des organisateurs,
  • le refus de la précarité des animateurs et autres personnels encadrant ce type de séjours, par une revalorisation des salaires et la cessation de tout usage abusif du contrat d’engagement éducatif (CEE).

 

Nous engageons aussi tous les collègues mobilisés se retrouvant dans des situations difficiles face au SNU à ne pas rester isolés et à prendre contact avec les forces syndicales susceptibles de les défendre.

 

Il est temps de dire non au SNU et à son monde !

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